EDO, DPA : Toutes et tous cobayes !

Malgré une année 2024 consacrée à la préparation opérationnelle de la mise en application de la Loi pour le Plein Emploi, des visioconférences en cascade pour nos managers de proximité, de l’autoformation, des renforcements et autres exercices de préparation pour les agents; force est de constater que rien n’était prêt pour le déploiement des entretiens d’orientation ni celui du 1er entretien d’accompagnement.

« Bonjour monsieur, c’est *** de France travail. Je vous appelle suite à votre inscription en date du *** afin de compléter le questionnaire d’orientation qui permettra de définir la suite de votre accompagnement. Ça nous prendra une dizaine de minutes  et vous aurez, par la suite, un rendez-vous avec votre conseiller ou conseillère référente qui répondra aux questions que vous pourriez a… Ha non monsieur, je le regrette, mais je ne peux pas vous expliquer pourquoi vous ne bénéficierez que d’une allocation de *** par jour, mon appel n’a, pour seul objet, qu… Oui j’entends bien que ce n’est pas suffisant pour payer vos charges, c’est précisément pour vous mettre rapidement en contact avec l’interlocuteur le plus à même de vous accompagner vers les bonnes solutions que je vous contacte. Il faut simplement que vous répondiez à mes questions et vous aurez par la suite la possibilité de poser toutes les vôtres à la bonne personne, c’est bon pour vous ? »  

C’est le type de situations qui nous sont signalées par des collègues, se souciant d’apporter un service de qualité à nos usagères et usagers mais se faisant embarquer dans le rythme effréné des EDOmajoritairement calibrés à 15 minutes en Occitanie – se restreignant alors à la lecture/saisie du questionnaire d’Orientation, sans pouvoir approfondir les questions ni les reformuler en vue de s’assurer de la bonne compréhension de l’interlocuteur. C’est donc nécessairement un diagnostic « au mieux » qui est effectué, suivi d’une orientation vers une structure du réseau pour l’emploi pour laquelle il nous est bien difficile, lorsqu’il ne s’agit ni de France travail, ni de CAP emploi, d’expliquer quand et comment l’organisme référent se rapprochera d’elles et eux. 

Au-delà de l’essence de l’EDO et de la frustration qu’il suscite des deux côtés du guichet, il est aussi question des conditions dans lesquelles il est réalisé. Car, ne le cachons pas, 12 entretiens en 3h45… C’est pour le moins irritant – et ce sans parler des dysfonctionnements du système d’information qui sont quasi quotidiens et viennent quelque peu perturber le déroulement des entretiens – alors que la simple intensité de ces demi-journées suffit à nous rendre vaguement chèvres.

Le plus amusant est peut-être de se dire que cette phase est limitée au premier trimestre et qu’elle sert notamment à entrainer la machine, puisque l’EDO s’appuiera par la suite sur un algorithme intelligent et que le questionnaire sera directement rempli en ligne par les Demandeurs d’emploi lors de l’inscription. 

Il est alors justifié de s’interroger sur ce que cette IA tirera de cet entrainement. Quels biais reproduira-t-elle ? L’EDO est supposé être un diagnostic administratif affiné par une évaluation du pouvoir d’agir. Cependant, d’autres éléments s’y invitent comme la charge des portefeuilles, les représentations que l’on se fait des personnes ou des opérateurs du RPE… Ces éléments conduisent à des orientations discutables. C’est sur celles-ci que va se baser l’IA au risque de multiplier les erreurs d’aiguillage, d’accroitre la frustration des deux côtés du guichet.

Du sommet de la pyramide, lorsqu’on regarde les personnels, là, en bas, qui s’agitent dans tous les sens, ça parait sans doute anodin. Après tout, des erreurs d’aiguillage, des changements de voie, ça a toujours existé. Sauf que nous sommes justement dans l’application d’une loi qui prétend résoudre ces problématiques par une nouvelle organisation plus rationnelle et que c’est sans compter sur les effets pernicieux de cette loi qui fixe les délais entre l’entretien d’orientation et la signature d’un contrat d’engagement

Ça revient à ignorer l’épouvantable casse-tête que représente, pour nos responsables d’équipe, la réorientation de ces publics dans un délai contraint (même si prolongé) et alors que toutes les autres activités doivent, elles aussi, être tenues dans les délais. 

C’est ignorer, là aussi, les conditions dans lesquelles les conseillères et conseillers enchainent les premiers entretiens d’accompagnement dont la durée est largement sous calibrée si on retient qu’il s’agît de réaliser le diagnostic socio-professionnel de la personne reçue, de lui expliquer un cadre règlementaire qu’on ne comprend et maîtrise réellement qu’à moitié, co-construire avec elle un plan d’action, le formaliser sous forme d’un contrat d’engagement qu’on signera alors même qu’on ne sait toujours pas bien, concrètement, comment se traduira l’éventuel manquement au dit contrat ; alors même qu’on ne sait toujours pas vraiment ce qu’on peut/doit mettre derrière cet engagement. 

C’est ignorer, enfin, les ressentis légitimes d’une personne qui se trouvera ballottée d’un bureau à l’autre et les rapports difficiles avec l’établissement qui pourraient en découler. 

Autant dire que, pour toutes celles et tous ceux qu’il implique, ce premier entretien, nous aimerions autant qu’il ne soit pas l’objet de ricochets. Quitte à consacrer plus de temps aux DPA, nous les préfèrerions simplement plus long, afin d’en tirer tout ce qui permettra de construire un parcours aux débouchés positifs.  

Nous devinons bien le raisonnement qui a conduit à imaginer que, pour répondre efficacement aux tensions du marché du travail et lutter contre le chômage de masse sans pour autant recruter plus de personnel ; il convenait de fusionner le diagnostic et le premier entretien sans en additionner les durées. Nous sommes même convaincus que dans un logiciel de modélisation RH, ça fonctionne parfaitement. C’est cependant réfuter purement et simplement la réalité du terrain. 

Il semble pourtant qu’au court des derniers mois, à l’occasion des visios de préparation LPE, les équipes locales de direction ont systématiquement été invitées à faire part de leurs perceptions terrain, de leurs doutes et inquiétudes. Aurait-on fait le choix de ne pas entendre leurs alertes ? 

Pendant ce temps, on jette tout le monde dans le jus. On nous immerge dans un problème et on attend de voir les solutions qui en sortiront. C’est bien mignon de faire confiance à “l’intelligence collective”, mais nous ne sommes pas supposés être en phase d’expérimentation, et c’est bien de la santé des agentes et agents dont il est question

ALORS N’ATTENDONS PAS DE CRAQUER.

ORGANISONS-NOUS ET REUNISSONS LES CONDITIONS POUR IMPOSER NOS VISIONS ET VALEURS ! OSONS NOUS BATTRE POUR LEUR AVENEMENT.

Nous avons des propositions pour améliorer l’accompagnement des précaires et des privé.e.s d’emplois.

Il n’est pas question d’investir dans des solutions logicielles excessivement coûteuse, ni dans des prestations bidon coûteuse elles aussi. Encore moins de fusionner des moments clés du “parcours du demandeur d’emploi”.

Il convient, pour commencer, de signer un CDI à toutes et tous les collègues précaires qui le souhaitent et comme ça ne sera pas suffisant, il faut en recruter d’autres, en CDI aussi.

On peut poursuivre en améliorant la qualité de la formation des conseillères et des conseillers, avec une formation initiale qui démarre plus tôt, qui dure plus longtemps, renforcée par une tutrice ou un tuteur qui dispose réellement du temps nécessaire pour développer la technicité, et l’expertise de ses jeunes collègues.

Ce qui permettra de ré internaliser nos prestations, afin qu’elles soient dispensées par des personnels du service public, en ciblant les véritables besoins des personnes accompagnées.

Sur le plan des entreprises aussi, nous avons des propositions. En les amenant à soigner les conditions de travail et de rémunération, il y aurait sans nul doute bien moins de difficultés de recrutement. Et pour les employeuses et employeurs qui rêvent de pouvoir le faire mais n’en ont pas les moyens, qu’à cela ne tienne, aidons-les ! Arrêtons de soutenir les grands comptes qui abusent des contrats précaires pour mieux réclamer toujours plus d’aides et mesures, et soutenons les petites boîtes qui, en prime, tissent l’économie de proximité